Le triangle AEC de J.-H. Lambert

Quand on parle gnomonique, sinus et cosinus ne sont pas des gros mots.
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Yvon_M
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Le triangle AEC de J.-H. Lambert

Message : # 1001Message Yvon_M »

Dans le second tome de ses « Contributions à l’usage des mathématiques » publiées en 1770, Lambert utilise par deux fois, aux § 22 et 29 des « Ajouts à la gnomonique » , un triangle sphérique qu’il a nommé AEC pour introduire, après une projection stéréographique, deux instruments dont il est le découvreur. Le premier permet de déterminer l’azimut du Soleil et le second son angle horaire, ou l’heure vraie, en relevant, dans les deux cas, la hauteur du Soleil.

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Dans l’opuscule sur l’analemme que j’ai publié en 2009 et qui se trouve ici :
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j’ai montré qu’on pouvait aussi retrouver le principe de ces instruments en utilisant la technique de l’analemme, soit sur le vertical du Soleil pour le premier instrument (p. 76), soit sur le méridien du Soleil pour le second (p. 26).

Dans cette contribution, je vous propose d’expliquer à l’aide de figures, insérées dans un diaporama et parfois animées, comment on peut faire le lien entre ces deux approches qui, sans surprise, sont équivalentes. Je commencerai dans ce premier message, suivant l’ordre de Lambert, par l’intrument qui fournit l’azimut et qui est représenté par cette très belle gravure :

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Crédit de numérisation : SUB, Göttinger Digitalisierungszentrum

La règle AB est mobile autour de l’axe A du secteur ADF qui, lui aussi, est mobile autour de l’axe R du secteur RNC. La règle AB doit être réglée suivant la déclinaison du Soleil et l’intrument est utilisé en maintenant la graduation CN verticale. En déplaçant le secteur ADF, la règle AB est alors dirigée vers le Soleil dont elle indique l’azimut par son intersection avec la graduation CN.

Revenons aux considérations géométriques utilisées pour définir ce cadran à partir du triangle AEC de la sphère. Lambert introduit la projection stéréographique qu’il va utiliser de cette manière : « Il s’agit maintenant de projeter le triangle AEC de telle sorte que l’œil soit sur la sphère à l’opposé du point E et que le tableau soit perpendiculaire à la ligne tirée de l’œil en E ».

Les termes « œil » et « tableau » sont empruntés à la perspective et correspondent respectivement aux centre et plan de projection de la géométrie projective. D’après les relations algébriques que Lambert donne ensuite, il apparaît que le plan de projection passe par le centre de la sphère. Comme le point E est sur l’horizon, le plan de projection est vertical. Enfin, comme E est sur l’«  horizon du Soleil » (le grand cercle dont le Soleil est le pôle), le plan de projection est précisément le vertical du Soleil, soit le même plan que celui utilisé avec la technique de l’analemme.

Dans le diaporama explicatif qui suit, j’ai utilisé un artifice pour obtenir la projection stéréographique de la sphère. Dans un premier temps, je l’ai orienté de façon que la figure elle-même soit dans le vertical du Soleil. La figure peut ainsi être considérée comme la projection de la sphère faite à partir d’un centre (l’œil) situé derrière la figure, à l’infini. En rapprochant progressivement le centre, la figure évolue. Quand il touche la sphère, la figure correspond alors à la projection stéréographique de celle-ci, ce qui donne au cercle de l’horizon la forme d’un cercle.

Je vous laisse naviguer dans le diaporama en cliquant sur les flèches qui se trouvent en bas des figures.



Voyons comment on peut confirmer rigoureusement que la projection de Lambert est équivalente à la construction par l’analemme. Ces deux projections sont superposées sur la partie droite de la figure suivante. Soit l’axe XX’ qui passe par les centres E et T des deux cercles (A) et (L). Par symétrie, cet axe passe aussi par le pied E’ du pôle Nord P. Considérons maintenant le plan (P) perpendiculaire à la figure et passant par l'axe XX’, il est rabattu sur la partie gauche de la figure et les traits en pointillé permettent de faire le lien entre les deux parties. Sur le rabattement, on retrouve le cercle (C) qui correspond à la trace de la sphère, UV est la trace de l’équateur qui est perpendiculaire à (P), le pôle Nord est sur le cercle en P et O est le centre de la projection stéréographique qui projette U en U’ et V en V’.

Les rayons IP et IO sont respectivement perpendiculaires aux diamètres UV et BD. De plus, d’après les propriétés du cercle, les cordes PB et PD ainsi que OU et OV sont perpendiculaires entre elles. Par ailleurs :
  • IP ⊥ IU et IB ⊥ IO ⇒ les triangles IPB et IUO sont identiques et PB ⊥ UO
  • PB ⊥ UO et PB ⊥ PD ⇒ UO ∥ PD
  • PB ⊥ UO et VO ⊥ UO ⇒ VO ∥ PB
  • UO ∥ PD, VO ∥ PB et U’V’ et BD sont sur la même droite ⇒ les triangles U’OV’ et DPB sont similaires et plus exactement homothétiques. Le centre d’homothétie est Y, soit la projection stéréographique de P, et le rapport d’homothétie est IO/HP. Un calcul trigonométrique montrera que IO/HP = 1/(sin Az.cos ϕ), Az étant l’azimut du Soleil et ϕ la latitude.
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Les triangles U’OV’ et DPB permettent de définir entièrement la partie droite de la figure, ainsi on retrouve sur cette dernière la même homothétie entre les figures obtenues par projection stéréographique et la technique de l’analemme, ce qui confirme qu’elles sont parfaitement équivalentes.

Avec le recul, et sans vouloir en rien atténuer le grand génie de Lambert, il s’avère qu’il n’a pas utilisé la technique la plus simple et la plus régulière pour imaginer son cadran. Celui-ci se retrouve plus naturellement avec la projection orthographique de l’analemme. Il faut toutefois reconnaître que les cercles sur lesquels il s’est appuyé pour sa construction sont plus généralement utilisés que les cordes propres à l’analemme.

À plus tard pour la description du second instrument.
Yvon Massé - Site perso. : La gnomonique
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Re: Le triangle AEC de J.-H. Lambert

Message : # 1002Message Yvon_M »

Comme proposé, nous aborderons dans ce nouveau message le second instrument de hauteur que Lambert a introduit avec son triangle AEC et qui donne l’heure solaire. C’est sous deux versions différentes qu’il l’a proposé :

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Crédit de numérisation : Numistral - Bibliothèques de l’Université de Strasbourg

La première version, à gauche, comporte deux masses pesantes. La masse de gauche permet de mettre l’instrument en position : ce dernier doit être dans le vertical du Soleil et le fil M doit indiquer sa déclinaison. On oriente ensuite le bras RE, mobile autours de l’axe R, pour que RE soit dans l’alignement du Soleil. La seconde masse pesante permet de placer la règle AB, mobile en rotation autour de l’axe E et solidaire de l’extension D, en position horizontale. La règle AB indique alors l’heure sur la graduation CN.

La seconde version de l’instrument, que Lambert présente comme une amélioration, ne comporte plus qu’une seule masse pesante mais son utilisation doit se faire en deux temps :
  1. mise en position de l’instrument : le bras RE, mobile autours de l’axe R, doit être placé pour que E soit sur la déclinaison du Soleil. On oriente ensuite l’instrument dans le vertical du Soleil et de telle façon que le fil EP pende le long du bras RE.
  2. relevé de la hauteur du Soleil : sans modifier la position de l’instrument, on tourne le bras RE pour que les pinnules F et B, dont la ligne de visée est perpendiculaire à RE, soient dans l’alignement du Soleil. Le fil EP indique alors l’heure sur la graduation CN.
Lambert introduit le principe de ce nouvel instrument par cette phase :
« […] je suis retourné au triangle ECA […]. Je l’ai projeté de manière à ce que l’œil soit sur la sphère à l’opposé de l’angle A et que le tableau soit perpendiculaire à la ligne qui sort de l’œil et qui passe par A. »

Comme le point A est sur l’équateur, le « tableau » est dans un méridien, c’est-à-dire un plan passant par l’axe des pôles. A étant aussi sur l’horizon du Soleil, le plan de projection est donc le méridien du Soleil.

Le diaporama qui suit permet de présenter les différentes figures et, comme dans le message précédent, de montrer le lien entre la projection de Lambert et celle de l’analemme.



La démonstration permettant de justifier l’homothétie entre les deux projections est similaire à celle du premier message. On peut également établir que le rapport d’homothétie est 1/(sin H.cos ϕ), H étant l’angle horaire du Soleil et ϕ la latitude.

Tel qu’ils ont été présentés ici, les instruments de hauteur pour mesurer l’azimut du Soleil et l’heure solaire ne sont utilisables que pour une seule latitude, celle qui se retrouve dans l’angle QRC ou QRN. Pour palier à cette limitation, Lambert proposa une façon de rendre ces instruments universels, en déplaçant la graduation CN en fonction de la latitude.

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Dans ses Ajouts à la gnomonique, c’est sur cette universalisation que Lambert termine l’exploitation de son triangle AEC. Il reste toutefois un « tableau » sur lequel on peut projeter ce triangle pour obtenir deux droites et un cercle : celui qui est perpendiculaire au diamètre aboutissant au troisième point C, intersection de l’horizon et de l’équateur. Le plan correspondant est le méridien du lieu.

Bien que Lambert ne l’évoque pas dans ses Ajouts à la gnomonique, nous verrons dans le prochain message qu’il a probablement initier la démarche qui l’a conduit à imaginer les instruments ci-dessus en utilisant précisément la projection stéréographique du triangle AEC sur le méridien du lieu.
Yvon Massé - Site perso. : La gnomonique
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