Les cadrans universels d'Ozanam

Quand on parle gnomonique, sinus et cosinus ne sont pas des gros mots.
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Yvon_M
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Les cadrans universels d'Ozanam

Message : # 104Message Yvon_M »

Le mathématicien Jacques Ozanam nous a laissé plusieurs ouvrages sur la gnomonique qui, à ses yeux, était la partie la plus agréable des mathématiques. On trouve dans ces ouvrages la description de cadrans horizontaux dits universels qui ont été imaginé par Ozanam lui-même (1). Le principe général est de représenter sur la surface horizontale du cadran un réseau de courbes d’heure et de latitude. Le style est polaire et il doit être incliné suivant la latitude d’utilisation. L’ombre du style indique alors l’heure sur la courbe de latitude correspondante.

Ozanam a proposé différents types de ces cadrans qu’il a classés suivant les courbes obtenues pour le réseau d’heure ou de latitude : linéaire, elliptique, hyperbolique et parabolique. Bien que ses ouvrages traitant de gnomonique, notamment ses célèbres Récréations mathématiques et physiques, aient été publiés de nombreuses fois jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, ses cadrans universels n’ont été commentés qu’à une époque récente (2). Les auteurs qui se sont penchés sur l’analyse de leurs tracés ont utilisé la géométrie analytique. Elle a l’avantage de confirmer la validité des figures mais, à mon goût, elle n’a pas l’élégance et la pédagogie de la géométrie pure. Le but de ce sujet est donc de décrire ces cadrans universels d’une manière plus ludique et peut-être plus proche de la façon dont Ozanam les a imaginés.

Ozanam introduit ses cadrans universels en proposant une adaptation à l’analemme de St Rigaud : une série de courbes en point-tillé qu’il superpose aux lignes horaires, il précise que ce sont des ellipses.

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L’affectation des lignes horaires de l’analemme est redéfinie par une numérotation en chiffre arabe sur l’ellipse supérieure qui, ici, est plus exactement le cercle correspondant à la latitude de 90°. Les autres ellipses sont paramétrées avec la valeurs de la latitude. Les lignes horaires doivent être orientées suivant la méridienne, la partie basse de la figure en direction du nord. Le style doit être implanté au point A et incliné suivant le latitude du lieu.

On peut retrouver ces ellipses en imaginant une surface fictive cylindrique dont l’axe est le style polaire et le diamètre celui de la largeur de l’analemme (voir figure suivante). Sur cette surface les lignes horaires sont des droites espacées régulièrement. Situons-nous à une certaine latitude, l’ombre du style à une heure donnée court sur le plan horizontal pour aller recouvrir la ligne horaire correspondante du cylindre.

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On peut donc considérer l’intersection de ce cylindre avec l’horizon comme la courbe de latitude du lieu où nous sommes situés en attribuant aux points horaires l’endroit où les lignes horaires fictives percent le plan de l’horizon. Ces points devront être reliés aux points horaires des autres latitudes pour obtenir les courbes horaires qui, dans ce cas, seront des droites parallèles. C’est ce qui est fait sur l’animation suivante où la latitude varie de 90° à 30° afin de retrouver la figure proposée par Ozanam.

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Ensuite Ozanam propose son cadran elliptique universel qui se présente ainsi :

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Le style doit être implanté en A et la ligne A-12 orientée suivant la méridienne, le 12 en direction du nord. Les lignes horaires sont des droites dirigées est-ouest et les courbes de latitude des ellipses qui s’aplatissent sur la méridienne quand la latitude diminue. Le paramétrage des ellipses est situé au dessus de la ligne des 6 heures.

On peut expliquer le tracé de ce cadran avec le même cylindre fictif que précédemment mais en faisant varier son diamètre en fonction de la latitude de telle sorte que sa ligne fictive de midi perce le plan horizontal toujours au même endroit.

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Ozanam présente ensuite 2 cadrans rectilignes universels. Le premier est uniquement constitué de lignes orthogonales. Je présenterai d’abord le second qui peut s’apparenter plus facilement au cadran de l’analemme de St Rigaud. Voici la figure correspondante :

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Les lignes horaires sont parallèles et doivent être disposées suivant la méridienne, le XII vers le nord. Le style doit être implanté en A et incliné suivant le latitude du lieu. Les courbes de latitude sont des droites brisées en forme de V.

La surface fictive pour expliquer ce tracé est constituée de 2 portions de plan parallèles au style et qui se rejoignent au niveau de la ligne fictive de midi. L’animation suivante parle d’elle-même.

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Le cadran à lignes orthogonales est un peu plus difficile à interpréter car c’est en fait la superposition de 2 cadrans différents. Le premier, qui est réparti sur toute la surface, a des lignes horaires est-ouest et des lignes de latitudes nord-sud. À l’inverse le second, qui ne s’étend que sur le tiers inférieur du cadran, a des lignes horaires nord-sud tandis que les lignes de latitude sont est-ouest.

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Les graduations horaires sont situées sur le pourtour du cadran, celles des latitudes le long des médianes. Comme pour tous les cadrans précédents, le XII est à placer vers le nord et le style doit être implanté en A.

Les surfaces fictives qui sont à l’origine des lignes horaires est-ouest sont 2 portions de plan qui correspondent, pour le premier, à un cadran oriental et, pour le second, à un cadran occidental. Ces cadrans se rapprochent du style quand la latitude diminue. Quant aux autres lignes horaires, elles sont dues à une portion de plan qui donne un cadran polaire.

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Ozanam nous propose ensuite un cadran universel hyperbolique. Cette fois ce sont les courbes horaires qui sont à l’origine de la dénomination tandis que les latitudes sont représentées par des lignes parallèles orientées est-ouest. Le point A où doit être implanté le style est situé à l’intersection des asymptotes et toutes les hyperboles passent par le point B situé sur la ligne de latitude 0°.

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Cette fois-ci, la surface fictive correspond à celle d’un cadran équatorial.

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En changeant de latitude, le style entraîne dans son mouvement de rotation les lignes horaires fictives qui décrivent des hyperboloïdes comme on peut en voir un sur l’image suivante prélevée sur le site Wikipédia.

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Le plan du cadran passe par l’axe de cette rotation, les courbe horaires correspondent donc à la génératrice (ou au « profil ») des hyperboloïdes, ce sont des hyperboles.

Le dernier cadran dit parabolique n’a pas été publié dans la première édition des Méthodes pour tracer des cadrans mais est apparu 8 ans plus tard dans les Cours de mathématiques. On peut penser qu’Ozanam a souhaité compléter la famille des coniques par un cadran qu’il n’a pas trouvé tout de suite. Je dois confier que de mon côté j’ai eu beaucoup plus de mal à trouver la surface fictive correspondante. Voici donc ce cadran ou l’on retrouve des lignes de latitudes parallèles et orientées est-ouest

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La figure reprend tous les codes précédents : le point A pour l’implantation du style et la graduation des lignes de latitude en chiffre arabe le long de la ligne de midi. Quant à la surface fictive correspondante, elle est effectivement un peu plus spécifique, c’est un demi-cylindre dont le diamètre correspond à la hauteur du cadran.

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J’espère que ce tour d’horizon des cadrans universels d’Ozanam vous a intéressé. Je vous proposerai un nouveau message avec 2 voies de généralisation de ces cadrans parmi l’infinité des tracés possibles.

1 ^ - Premières éditions des ouvrages d’Ozanam traitant entièrement ou en partie de gnomonique : 2 ^ - Bibliographie (les 4 premières références n’ont pas été consultées, les 2 premières sont données par l’article de R. Rohr) :
  • DRECKER : Die Theorie der Sonnenuhren. Berlin, 1925
  • De RIJK : Het pientere H-lat-netwerk van meneer Ozanam. Zonnewijzerkring bulletin XIV, p. 716. Sept. 1982
  • ROHR : Die eigenartigen Sonnenuhren des Jaques Ozanam. Zonnewijzerkring 85.3, pp. 337-342. Sept. 1985
  • De VRIES : Aanvullingen Ozanam-zonnewijzers. Zonnewijzerkring 85.4. Déc. 1985
  • ROHR : Les cadrans solaires universels de Jacques Ozanam. Centaurus vol. 29-3, pp. 165-177. Sept. 1986
  • SAWYER : Quiz Answer: Jacques’ Layout. The Compendium vol. 7 n° 2, pp. 18-22. Juin 2000
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Henri_G
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Re: Les cadrans universels d'Ozanam

Message : # 110Message Henri_G »

Félicitations !

Une bonne animation vaut mieux qu'un long discours ! :D
Eric_M
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Re: Les cadrans universels d'Ozanam

Message : # 112Message Eric_M »

Voila un grand moment de gnomonique ! c'est magnifique !!!
Je suis émerveillé pour deux raisons:

1) les cadrans d'Ozanam (1640-1718). C'est indiscutablement des solutions terriblement élégantes pour disposer de cadran horizontaux universels. Il est en fait assez incroyable que ces cadrans n'aient pas, à l'époque, eut un énorme succès (en fait il semble bien qu'ils sont passé totalement inaperçus... à moins que quelqu'un ici connaisse un exemple d’utilisation par un gnomoniste ancien de ces idées ???).
On se met à rêver sur ce qu'aurait pu être, par exemple, les cadrans portatifs de type Butterfield si leur inventeur avait choisi, non pas de représenter des lignes horaires pour quelques latitudes (52, 49, 46 et 43°), mais au contraire en suivant une des solutions d'Ozanam, toutes les latitudes intermédiaires et ce, de façon continue...
Mais pourquoi, Diable, personne, à l'époque, n'y a pensé ????
Ceci constitue probablement un magnifique exemple de génie méconnu !

2) la manière dont Yvon explique la manière dont Ozanam a probablement extrait quelques solutions "harmonieuses" et "esthétiques" parmi une infinité de solutions possibles. Magnifique travail très convainquant ! bravo. Et bravo aussi pour les animations ...
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Yvon_M
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Re: Les cadrans universels d'Ozanam

Message : # 128Message Yvon_M »

Merci Henri et Éric pour vos félicitations. Toutefois Éric, je ne pense pas que le cadran de Butterfield ait perdu l’occasion d’utiliser cette approche. À mon avis, Butterfield devait connaître parfaitement la procédure qui consiste à graduer des courbes de latitudes puis à relier entre-elles ces graduations par d’autres courbes qui, pour être régulières avec une approximation suffisante, étaient souvent des arcs de cercle (comme pour les cadrans de hauteur par exemple). Si le principe n’a pas été retenu c’est donc pour une autre raison que la méconnaissance des solutions d’Ozanam. Il reste toutefois surprenant que les cadrans universels d’Ozanam qui étaient décrits dans ses populaires Récréations (plus de 10 rééditions de 1694 à 1770 avec des tirages conséquents vu le nombre d’exemplaires qui se trouvent dans le fond ancien des bibliothèques de France et de bien d’autres pays) aient été aussi peu commentés.

Comme je l’avais proposé à la fin de mon message, voici 2 généralisations qui permettent de tracer une infinité de cadrans sans toutefois constituer la totalité des solutions possibles (c’est dire s’il y a ;) ). En effet, les cadrans proposés ici ont tous des lignes horaires parallèles, soit dirigées suivant l’axe nord-sud pour la première généralisation, soit est-ouest pour la seconde.

Traçons perpendiculairement les lignes de midi et de 6h qui se coupent en A où sera implanté le style. Traçons ensuite une courbe quelconque qui sera celle de la latitude 90° et, pour trouver les différents points d’heures, traçons du point A des demi-droites qui font entre elles un angle de 15° puisqu’à la latitude de 90° le plan horizontal du cadran est équatorial (contrairement au climat ;) ).

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Considérons que la courbe quelconque corresponde à la trace d’un cylindre au sens mathématique dont les génératrices sont perpendiculaires au cadran. Si on applique à ce cylindre le mouvement du style, comme dans l’animation donnant les courbes de l’analemme de St Rigaud, les lignes horaires sont des droites parallèles à la ligne de midi qui passent par les points horaires déterminés précédemment. Pour obtenir les courbes de latitude il suffit d’« étirer » la courbe quelconque de part et d’autre de la ligne des 6h du facteur 1/sin(lat), lat étant la latitude pour laquelle on trace chaque nouvelle courbe. On obtient ainsi le cadran suivant :

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Comme dans le cas du cadran universel elliptique, on peut aussi appliquer au cylindre une diminution de taille en même temps que le style polaire s’incline pour que le point horaire de midi reste au même endroit. On obtient ainsi des lignes horaires parallèles à la droite des 6h. Pour tracer les courbes de latitude il faut alors « compresser » la courbe quelconque sur la ligne de midi du facteur sin(lat). Le cadran correspondant est représenté ci-dessous.

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Voici une application de la première généralisation d’après une idée de F. Sawyer (1). La courbe initiale a comme équations paramétriques x = k*H et y = -k/tan(H), ce qui permet d’avoir des lignes horaires équidistantes. On peut alors imaginer que ces lignes horaires soient tracées sur un film transparent qui peut être déplacé latéralement pour faire la correction de longitude et de l’équation du temps. Ce cadran gagnerait encore en universalité.

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Voici un autre cadran concernant la seconde généralisation :

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On peut s’étonner qu’Ozanam ne l’ait pas proposé car il provient de son cadran universel rectiligne comme son cadran universel elliptique provient des courbes de l’analemme de St Rigaud. Mais ça, c’est une autre histoire...

1 ^ SAWYER : Universal Horizontal Dialfaces. The Compendium vol. 2 n° 3, pp. 11-18. Septembre 1995
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